Solitude et Mary, deux femmes abolitionnistes

Je reviens aujourd’hui avec l’article promis sur le thème de l’esclavage et plus particulièrement sur 2 femmes esclaves et abolitionnistes : Solitude et Mary. Pour rappel j’ai écrit un article sur le devoir de mémoire sur la traite négrière dans lequel j’exposais les raisons pour lesquelles l’esclavage et ses conséquences sont méconnues (du grand public) notamment en France métropolitaine. J’ai choisi de parler de Solitude car c’est une figure marquante de l’abolition de l’esclavage dans les Antilles françaises et que justement, je veux mettre en avant l’Histoire de France qui compte parmi elle des rois prestigieux comme Louis XIV, des figures de la résistance comme Jean Moulin et des abolitionnistes comme Solitude. Ensuite j’ai choisi Mary tout d’abord parce que son histoire a resurgi dans l’actualité il y a peu (vous le verrez plus tard) mais également parce que l’esclavage fait partie de l’Histoire de l’Europe. Celle qu’on surnomme la Reine Mary s’est rebellée dans une île qui appartenait à l’époque au Danemark. Ne vous inquiétez pas, moi non plus je ne savais que le Danemark avait participé à la traite négrière. Enfin j’ai choisi des femmes car trop souvent on met en avant des hommes dans ces cas-là, il n’y a qu’à voir les 2 exemples de figures de l’Histoire de France que j’ai donnés plus tôt. Bien évidemment des hommes ont également activement participé à l’abolition de l’esclavage.

Petite remarque avant de commencer, l’esclavage n’a pas été un « long fleuve tranquille » pendant lequel les esclaves acceptaient volontiers de se faire maltraiter par leurs maîtres. Il y a eu de nombreuses révoltes pendant la totalité de la traite négrière et également après parce qu’il faut être honnête, l’esclavage ne s’est pas vraiment arrêté après l’abolition (source retronews.fr & cnmhe.fr). Toutes ces révoltes ont été réprimées et passées sous silence, les faits que je relate ici sont donc une infime partie de tout ce qui s’est passé contre l’oppression. 

Solitude

Vers 1772 en Guadeloupe, une esclave nommée Babette, violée pendant la traversée par un colon, donne naissance à une enfant métisse, Solitude. Cette enfant a été très vite séparée de sa mère, certains disent que Babette s’est enfuit pour rejoindre les nègres marrons, c’est ainsi qu’on appelle les esclaves qui ont pris leur liberté et se sont enfuis de chez leurs maîtres. Lorsqu’ils se faisaient attraper, ils étaient très sévèrement punis ou tués. D’autres disent qu’elles ont été séparées car Solitude, « grâce » à sa peau claire, a été assignée à travailler comme domestique de maison. Dans les 2 cas, Solitude a effectivement été une domestique au sein de la demeure de ses maîtres.

Après une période d’instabilité dans l’Hexagone, notamment à cause de la révolution française, l’abolition de l’esclavage est décrétée en 1794. En réalité, un régime de terreur s’installe sur l’île et les « anciens » esclaves sont forcés à rester sur les plantations et servir leurs « anciens » maîtres. La jeune femme décide alors de s’enfuir rejoindre les marrons. Malgré sa couleur de peau, elle s’intègre vite et s’impose même comme leader auprès de ce groupe d’esclaves libérés.

Cependant en 1802, sous l’influence de Joséphine de Beauharnais, Napoléon décide de rétablir la traite négrière. Il envoie le général Richepance et 3500 hommes en Guadeloupe pour rétablir l’autorité du capitaine-général de Guadeloupe, défaire les soldats de couleur, et imposer de nouveau l’esclavage. Une révolte s’organise alors, à sa tête Joseph Ignace, un ancien esclave charpentier devenu commandant dans l’armée. Dans sa lutte, il est notamment rejoint par Louis Delgrès, lui aussi soldat de couleur. Ce dernier lance un appel le 10 mai 1802 pour résister contre Richepance et ses hommes. Des centaines de civils et de marrons répondent à l’appel et rejoignent le combat. Solitude en fait aussi partie et elle est enceinte. Malgré son état, elle et plusieurs autres femmes se joignent au combat au côté des anciens soldats de couleur. Après plus de 15 jours de combat à armes inégales, les résistants sont sur le point de perdre. Tous préfèrent mourir plutôt que d’être réduit de nouveau en esclavage, « Vivre libre ou mourir ! » disent-ils. Joseph Ignace se donne la mort avant de pouvoir se faire capturer, quant à Louis Delgrès il se fait exploser avec ce qu’il reste de ses hommes dans une maison encerclée par les troupes de Richepance. Solitude se fait arrêter et emprisonner alors qu’elle voulait rejoindre Delgrès.

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Les résistants attrapés sont déportés ou exécutés. C’est le sort réservé à Solitude. Les autorités attendront tout de même qu’elle accouche de son enfant car ce dernier représente de la main d’œuvre supplémentaire pour le nouveau régime de traite négrière. Solitude est exécutée le 29 novembre 1802. Le 27 mai 1848, soit 46 ans plus trad, l’esclavage est définitivement aboli en Guadeloupe.

Sources : unesco.org, reinesheroinesdafrique.doomby.com, grandeurnoire.wordpress.com, wikipedia.org

Mary

En 2018, le Danemark a inauguré la première statue d’une femme noire. Cette femme n’est autre que Mary Thomas l’une des figures de la résistance contre le régime de servitude instauré dans les îles occidentales danoises au XIXe siècle. Certes Mary, lorsqu’elle s’est rebellée, n’était pas esclave mais le régime mis en place était très proche du système d’esclavage.

Mary naît vers 1840 sur l’île d’Antigua. Elle s’installe ensuite sur l’île de Sainte-Croix qui appartient alors au Danemark. Avant la révolte dont elle a été l’un des leaders, Mary a eu 3 trois enfants et a apparemment été arrêtée à plusieurs reprises pour vols et maltraitance sur l’un de ces enfants. Selon l’historienne Rikke Halberg ce serait des prétendues accusations pour décrédibiliser Mary.

Tout comme en Guadeloupe, en 1848 l’esclavage est aboli dans ces îles. Néanmoins, des règles strictes sont mises en place, elles imposent des conditions de travail quasiment similaires à celles de la traite négrière sans possibilité d’amélioration. De plus en plus de gens, mécontents de ces conditions de travail, quittent l’île afin d’avoir de meilleures conditions de vie. Le gouvernement décide alors d’adopter des lois pour empêcher la main d’œuvre de partir. En 1878, les « travailleurs » (ou plutôt esclaves) se révoltent au cours d’un épisode qu’on nomme « The Fireburn ». Plus de 50 plantations sont mises à feu, d’où le nom de la révolte. Mary et deux autres femmes, Axeline Elizabeth Salomon (appelée Agnes), et Mathilda McBean, ont été des symboles pendant cette révolution car elles effectuaient des rituels et ont participé activement aux opérations de sabotage. Environ 100 personnes noires sont tuées pendant la répression de ces émeutes, une douzaine est condamnée à mort et tuée immédiatement. Enfin, 39 personnes sont condamnées à mort et envoyées à Copenhague, parmi elles Mary. Finalement, la sentence de ces personnes est modifiée, ils doivent effectuer des travaux forcés particulièrement pénibles. Mary arrive en 1882 dans la prison de Christianhavn et en 1887 elle est finalement renvoyée à Sainte-Croix pour purger la fin de sa peine.

La statue haute de 7 mètres érigée à Copenhague est très symbolique étant donné sa localisation et sa conception. Elle est située non loin du lieu où celle qu’on surnomme « The Queen Mary » (La Reine Mary en français) a été emprisonnée. Elle se trouve au centre des attractions touristiques, non loin de monuments très connus comme Amalienborg, le château de la reine du Danemark ou encore l’Opéra national. La statue a été conçue par La Vaugh Belle, une artiste originaire des îles vierges (anciennes colonies danoises), et Jeannette Ehlers, une artiste danoise. Pour la position de Mary, elles se sont inspirées d’une photo de Huey P. Newton, le fondateur du Black Panthers Party. Dans ses mains, Mary tient un flambeau et le bâton de canne qui représentent les méthodes utilisées par les insurgés pendant le « Fireburn ».

Le Danemark a mis du temps à reconnaître sa part de responsabilité dans la traite négrière et a même prétendu pendant un temps avoir pratiqué un colonialisme plus « humain » que d’autres puissances européennes. Avec cette statue, le pays reconnaît ses torts et la partie sombre et honteuse de son histoire. Je trouve personnellement que c’est honorable d’avoir mis la statue à un endroit aussi visible, ils auraient pu reconnaître ce passé douloureux tout en essayant de le cacher mais ils ne l’ont pas fait bien au contraire. « I am Queen Mary », qui est le nom de la statue, trône juste à côté du trône du Danemark, une assise qui n’aurait probablement pas été la même sans l’exploitation de milliers êtres humains.

Sources : virgin-islands-history.org, histoireparlesfemmes.com, nofi.media, kunstkritikk.com, wikipedia.org

Malgré l’issue malheureuse du combat de ces 2 femmes, elles restent tout de mêmes dans leurs îles respectives des exemples de courage, de détermination et de liberté. Il faut noter que toutes les révolutions ne se sont pas soldées par un échec. En effet, Haïti, anciennement colonie nommée Saint-Domingue qui a appartenu à la France, a connu un mouvement de rébellion au même moment que la révolution impliquant Solitude. Cette rébellion a permis la libération du peuple haïtien et la naissance de la première nation indépendante de la Caraïbe.

Recommandations

Si vous voulez en savoir plus sur Solitude et les révoltes de 1802 en Guadeloupe, je vous recommande de lire l’article de grandeurnoire sur les abolitionnistes guadeloupéens. Si vous en avez marre de lire des lignes et des lignes, vous pouvez consulter la BD réalisée par l’Unesco qui résume le combat de Solitude. Je ne sais pas si je peux recommander la BD aux enfants mais je pense que c’est parfait pour des adolescents.

Concernant Queen Mary, si vous passez par Copenhague allez voir la statue, de tout façon elle est difficile à rater. Malheureusement, elle est pour l’instant en maintenance jusqu’au 25 Décembre 2019 d’après le site dédié à la statue. Je vous conseille de consulter ce site pour en savoir plus sur la conception de la statue et également l’article de Kunstkritikk (critique d’art en danois) qui est vraiment, vraiment très très intéressant (NB: il est en anglais).