Genius by Nemo
Je reviens aujourd’hui avec un « nouveau » concept d’article. En réalité, j’ai emprunté le concept du site genius, d’où le nom Genius by Nemo. Ce site, en plus de donner les paroles de chansons, propose également une interprétation de ces paroles, chacun peut donner sa contribution à l’explication des paroles. La différence entre ce site et mon blog c’est que je vais donner mon interprétation personnelle des paroles, mon point de vue. Je ne prétends en aucun cas avoir la science infuse et pouvoir interpréter avec justesse tous les messages que l’auteur a voulu transmettre. Mes explications ne correspondent pas forcément au message que voulait émettre l’interprète mais c’est comme cela que je l’ai reçu. A chaque numéro de Genius by Nemo, je vais analyser une chanson qui me tient à cœur et dont j’apprécie le message. Pour ce premier numéro en revanche, je vais analyser 2 chansons ainsi que le contexte de album dans lequel sont ces chansons.
Pour continuer sur ma lancée où je mets des femmes à l’honneur, comme Solitude et Mary ou encore les femmes noires élues Miss, je vais vous parler des chansons de l’artiste Rosalía. Pour ceux qui ne la connaissent pas, Rosalía est une auteure-compositrice-interprète espagnole qui s’inspire largement du flamenco dans sa musique.
L’album « El Mal Querer »
En 2018, Rosalía a sorti un album concept intitulé « El Mal Querer » qu’on peut traduire par « Le Mauvais Amour ». Cet album s’inspire d’un roman du XIVe siècle appelé « El Roman de Flamenca » qui raconte l’histoire d’amour entre un homme et une femme nommée Flamenca, jusque-là rien de bien extraordinaire. Tout comme un livre, l’album possède plusieurs chapitres, chaque chapitre correspondant à une chanson. A travers chaque chanson, l’histoire d’amour se développe et connaît des rebondissements. L’idylle entre cet homme et Flamenca commence mal dans l’album comme dans le livre, le titre de la première chanson étant « Malamente » qui se traduit littéralement par mal. Néanmoins l’artiste a fait le choix de modifier quelques éléments de développement et surtout la fin de cette histoire. En effet, selon le roman, la femme est emprisonnée par son mari jaloux, s’en suit un triangle amoureux et d’autres intrigues. Au lieu d’inclure le triangle amoureux Rosalía fait le choix de garder juste l’aspect violent et jaloux de la relation et termine l’album sur la libération et la prise de pouvoir de la femme sur son compagnon. Ce sont ces derniers chapitres auxquels nous allons nous intéresser, ils correspondent aux deux dernières chansons de l’album. Pour que vous ayez une vision plus globale du développement de l’action, je vous mets la liste des titres avec mes suggestions de traduction, il faut savoir que chaque chanson a un nom de chapitre et un titre propre.

Malamente – Capitulo 1: Augurio (Mal – Chapitre 1 : Présage)
Que no salga la luna – Capitulo 2: Boda (Que la lune ne se montre pas – Chapitre 2 : Mariage)
Pienso en tu mirá – Capitulo 3: Celos (Je pense à ton regard – Chapitre 3 : Jaloux)
De aquí no sales – Capitulo 4: Disputa (D’ici tu ne sors pas – Chapitre 4 : Dispute)
Reniego – Capitulo 5: Lamento (Plainte/protestation – Chapitre 5 : Lamentation)
Preso – Capitulo 6: Clausura (Prisonnier/Dominé/Aveuglé – Chapitre 6 : Le cloître/La clôture)
Bagdad – Capitulo 7: Liturgia (Bagdad – Chapitre 7 : Liturgie)
Di mi nombre – Capitulo 8: Éxtasis (Dis mon prénom – Chapitre 8 : Extase)
Nana – Capitulo 9: Concepción (Berceuse/Fillette – Chapitre 9 : Conception)
Maldicion – Capitulo 10 : Cordura (Malédiction – Chapitre 10 : Lucidité/Raison)
A ningun hombre – Capitulo 11 : Poder (A aucun homme – Chapitre 11 : Pouvoir)
Petite nota bene avant de commencer l’analyse de paroles: Les vers soumis à une explication sont surlignés en gris et accompagnés d’un numéro qui permet de savoir où ils sont analysés dans l’article.
La chanson « Maldición »
La chanson qui précède celle-ci s’intitule Nana – Capitulo 9 : Concepción. Conception se traduit assez facilement et nana peut vouloir dire berceuse ou fillette. La chanson est assez triste et parle d’enfant au paradis, on peut donc en déduire que la femme a perdu un enfant. Pour moi nana a les deux sens dans cette chanson, c’est-à-dire que l’héroïne chante une berceuse à sa fillette morte. Cette mort va la pousser à vouloir sortir de sa situation de victime de violence et de séquestration. Bien-sûr il y a d’autres raisons mais personnellement je pense que c’est le principal déclencheur du dénouement qui commence par la chanson Maldición.
MALDICIÓN (Cap.10: Cordura)
Malédiction (Chapitre 10 : Lucidité/Raison)
(1) M’an dicho que no hay sali’a
Ils m’ont dit qu’il n’y avait pas de sortie
Por esta calle que voy
Dans la rue où je vais
M’an dicho que no hay sali’a
Ils m’ont dit qu’il n’y avait pas de sortie
Yo la tengo que encontrar
Il faut que je la trouve
Aunque me cueste la vida
Même si ça me coûte la vie
O aunque tenga que matar
Ou même si je dois tuer
(2) Ay, el querer
Ay, l’amour (ou aimer)
Que en un momento quisiera
Dans un moment j’aurais souhaité
Estar loca y no querer
Etre folle et ne pas aimer
Porque el querer causa pena
Car l’amour cause de la peine
Pena que no tiene fin
Une peine sans fin
Y el loco vive sin ella
Et sans elle, un fou vivrait
No le temas al camino
N’aies pas peur du chemin
Es como una maldición
C’est comme une malédiction
No le temas al camino
N’aies pas peur du chemin
Si la nombro, la confirmo
Si je la nomme, je la confirme
Los dos sabemos qué pasa
Nous deux savons ce qui se passe
Y ninguno quie’e decirlo
Et personne ne veut le dire
(3) He deja’o un reguero
J’ai laissé une traînée
De sangre por el suelo
De sang sur le sol
He deja’o un reguero
J’ai laissé une traînée
Que me lleva al primer día
Qui me conduit au premier jour
Que te dije que te quiero
Où je t’ai dit que je t’aimais
Pa’ saber lo que decía
Pour savoir ce que tu dirais
Ay, el querer
Ay, l’amour (ou aimer, le fait d’aimer)
Que en un momento quisiera
Dans un moment j’aurais souhaité
Estar loca y no querer
Etre folle et ne pas aimer
Porque el querer causa pena
Car l’amour cause de la peine
Pena que no tiene fin
Une peine sans fin
Y el loco vive sin ella
Et sans elle, un fou vivrait
Paroles et traduction adaptées du site lacoccinelle.net
- Il n’y a pas de sortie possible de cette situation, la rue c’est la situation dans laquelle Flamenca, le personnage principal, est. Qui sont ceux qui lui disent qu’il n’y a pas de sortie ? Son entourage et celui de son mari sûrement… Quand on pense que le roman a été écrit au XIVe siècle on se dit bien qu’une femme seule aurait du mal s’en sortir, mais elle doit quand même trouver un moyen de le faire. A tout prix dit-elle, même si ça lui coûte sa vie ou celle d’une autre personne, son mari en l’occurrence.
- Et là commence le refrain qui porte sur l’amour, sur le fait d’aimer une personne. Flamenca aime l’homme avec qui elle est mariée mais elle aurait souhaité ne pas l’aimer justement. On comprend alors le nom du chapitre, elle est de nouveau lucide, elle a retrouvé la raison. Elle sait qu’elle aime mais que ça lui fait plus de mal (malamente) que de bien. Et en même temps quand elle évoque le fait de ne pas aimer, elle fait référence aux fous qui eux, selon elle, n’aiment pas. Or les fous ce sont justement ceux qui ne sont pas raisonnés, c’est-à-dire qui ne sont pas « capables de maîtriser [leurs] désirs et [leurs] intérêts, de contrôler [leurs] impulsions » (d’après laphiloduclos.over-blog.com). Elle n’a pas su contrôler ses désirs, elle n’a pas su contrôler son amour pour cet homme malgré la toxicité de cette relation. C’est donc un raisonnement complètement contradictoire. Cependant quand on y pense un peu plus, tout être humain raisonnable est capable d’aimer et en général aime ! Seul des fous comme des sociopathes ou que sais-je ne font pas preuve d’amour. Par la suite on comprend enfin (même si on l’avait un peu compris avant) le titre de l’album. Le fait d’aimer provoque une peine infinie d’où l’amour mauvais, l’amour qui fait mal.
- La traînée de sang qu’elle laisse, et également les sons dans la chanson de couteaux ou autres objets tranchants laissent imaginer qu’elle a tué son mari. D’ailleurs l’image illustrative de la chanson sur YouTube (voir plus haut) la montre telle une balance de la justice avec une épée ou un sabre sur son vêtement, indiquant clairement qu’elle s’est rendue justice.
La chanson « A ningún hombre »
A NINGÚN HOMBRE (Cap.11: Poder)
A aucun homme (Chapitre 11: Pouvoir)
(1) A ningún hombre consiento
A aucun homme je consente
Que dicte mi sentencia
De dicter ma sentence
Solo Dios puede juzgarme
Seul Dieu peut me juger
Solo a él debo obediencia
Je dois l’obéissance à Lui et Lui seul
(2) Hasta que fuiste carcelero
Tant que tu étais geôlier
Yo era tuya, compañero
J’étais tienne, compagnon
Hasta que fuiste carcelero
Tant que tu étais geôlier
(3) Voy a tatuarme en la piel
Je vais me faire tatouer sur la peau
Tu inicial porque es la mía
Ton initiale car elle est mienne
Pa’ acordarme para siempre
Pour me souvenir éternellement
De lo que me hiciste un día
De ce que tu m’as fait un jour
De lo que me hiciste un día
De ce que tu m’as fait un jour
Voy a tatuarme en la piel
Je vais me faire tatouer sur la peau
Tu inicial porque es la mía
Ton initiale car elle est mienne
Pa’ acordarme para siempre
Pour se souvenir éternellement
Y recordarlo to’a la vi’a
Me souvenir toute ma vie
De lo que me hiciste un día
De ce que tu m’as fait un jour
De lo que me hiciste un día
De ce que tu m’as fait un jour
Paroles et traduction adaptées du site lacoccinelle.net
Cette chanson est celle où la femme, après avoir subi la jalousie maladive de son mari, va se libérer de son emprise et prendre le pouvoir. Le pouvoir sur sa propre vie tout en se rappelant de ce qu’elle a subi.
- Cette chanson commence par une affirmation forte, aucun homme ne peut dicter la sentence de Flamenca. Elle a déjà eu une sentence puisqu’on l’a mise dans une sorte de prison, sentence donnée parce qu’elle s’est mariée à un homme possessif. Cette sentence peut aussi faire référence aux évènements du précédent chapitre, elle a pu s’en sortir en tuant son compagnon, pourtant personne ne peut lui imposer une sentence. Cela me fait penser au cas de Mme Sauvage qui battue et violée par son mari, l’a finalement tué et a été condamnée par la suite. Ses filles ont alors demandé au Président de l’époque, François Hollande, de lui accorder la grâce présidentielle. Il s’avère que Madame Sauvage a prémédité le meurtre de son mari cependant ce dernier lui a fait subir d’atroces souffrances physiques et morales pendant des années. Finalement, la grâce présidentielle lui a été accordée et elle a été libérée. Je ne veux pas justifier par là que les gens peuvent se faire justice eux même en tuant à volonté tous leurs oppresseurs néanmoins tout a un contexte, comme on peut l’avoir compris dans Maldición la situation de cette femme était une question de vie ou de mort. C’était soit elle, soit lui. Ensuite, il est dit que seul Dieu peut la juger, dans le roman ainsi que dans l’album la religion est très présente, comme on peut le voir sur la pochette de l’album, Rosalía y pose telle un Jésus sans croix.
- Elle était sienne et lui était le gardien de la prison de leur amour. Parce que oui, leur amour toxique et malsain était une prison au sens propre comme au figuré. Il est important de souligner que lorsqu’on a affaire à des violences faites aux femmes souvent les relations dans lesquelles elles sont, sont de véritables prisons psychologiques, c’est pour cela que peu de femmes parviennent à quitter leur compagnon pour que les violences cessent.
- En se tatouant, Flamenca marque sa peau comme des coups pourraient la marquer, seulement dans ce cas elle choisit d’avoir cette marque sur la peau. Avant elle était sienne, désormais il est sien pas dans le sens amoureux mais dans le sens où il appartient à son histoire, à son passé et à la femme puissante qu’elle est devenue aujourd’hui. De plus, il est intéressant de remarquer que le tatouage est quelque chose de caractéristique de la prison, beaucoup de prisonniers se font tatouer. Les anciens prisonniers veulent garder une trace de leur passage par la geôle. Celle-ci les a marqués à vie alors c’est ce qu’ils font physiquement, ils marquent à vie la prison sur leur peau. D’ailleurs elle va faire référence plusieurs fois à l’aspect durable du tatouage avec le mot siempre et en disant qu’elle va s’en rappeler toute sa vie. De quoi va-t-elle, de quoi veut-elle se rappeler ? De ce qu’il lui a fait subir.
Résonance dans l’actualité
J’ai déjà fait un parallèle précédemment avec l’affaire Jacqueline Sauvage mais malheureusement ces chansons résonnent avec l’actualité de la fin d’année 2019. Alors que l’opinion publique est de plus en plus consciente de la nécessité de changer la société pour moins d’inégalités des genres, encore beaucoup de femmes en France et dans le monde subissent des violences conjugales et meurent de la main de leur compagnon ou ex-compagnon. En 2018, on a recensé 121 féminicides, le bilan de 2019 est 149 victimes et il reste certains cas qui sont encore au stade d’enquête afin de déterminer s’il s’agissait bien d’un féminicide (source leparisien.fr). De nombreuses manifestations et une médiatisation plus fortes l’année dernière ont permis de sensibiliser un grand nombre de personnes à ce problème qui est resté tabou trop longtemps. Face à cela le gouvernement a (enfin) décidé d’agir en organisant un Grenelle contre les violences conjugales en Septembre 2019.
La prise de conscience se fait aussi à l’étranger, récemment le collectif féministe chilien Las Tesis a organisé un rassemblement à Santiago de Chile, la capitale du pays. Lors de ce rassemblement plusieurs femmes, et quelques hommes, ont chanté une chanson intitulé « El violador eres tu » (« Le violeur c’est toi » en français). C’est le collectif qui a créé cette chanson aux paroles qui rejettent la culpabilité qu’on impose aux victimes de viol, « ce n’était pas ma faute, ce n’était à cause de l’endroit où j’étais ou la façon dont j’étais habillée » chantent-elles. Cette chanson a été reprise partout dans le monde et notamment à Paris sur la place du Trocadéro.
A travers cette album, à travers sa musique mais aussi à travers sa propre personne, Rosalía met en avant les femmes et les problèmes insupportables auxquels beaucoup d’entre elles sont confrontées. Certes l’histoire ne se finit pas forcément par le pouvoir dans la réalité mais avec les manifestations, actions et projets artistiques menés de toutes parts on espère, en tout cas j’espère qu’on n’entendra plus d’histoire telle que celle de Flamenca.
Recommandations
Bien entendu la première chose que je vous recommande c’est d’écouter l’album « El Mal Querer ». Ça peut ne pas plaire à tout le monde je l’admets et il y a des chansons assez particulières dedans mais honnêtement ça ne coûte rien d’essayer d’écouter. Si vous êtes intéressé par des morceaux qui sont plus proches du flamenco vous pouvez écouter son premier album appelé « Los Angeles ».
Si voulez en savoir plus sur la musique de l’album « El Mal Querer » je vous conseille de regarder la vidéo du Youtuber Jaime, par contre la vidéo est disponible uniquement en espagnol avec les sous-titres en anglais ou en espagnol… Mais elle est vraiment intéressante.
Par rapport au roman dont s’est inspirée Rosalía, j’ai lu qu’il est très avant-gardiste pour son époque et met en avant une femme intelligente et cultivée. Avant même l’album cette notion de femme puissante était déjà présente dans le livre. Pour les hispanophones ou ceux qui ont de bonnes bases en espagnol je vous recommande de lire l’article de wmagazin.com à ce sujet. Bonne lecture ou devrais-je dire que aproveches de la lectura!